Estime de soi – 2

L’estime de soi – 2

Critique de l'idéologie de l'estime de soi

L'estime de soi est une notion qui jouit d'une popularité qui n'a d'égale que son obscurité. En effet, comme nous l'avons vu précédemment, il n'y a pas actuellement, parmi les théoriciens, de consensus quant à une définition acceptable de l'estime de soi. Ses partisans, malgré des divergences parfois importantes, s'entendent néanmoins tous sur un point : l'estime de soi se mérite.

Soit qu'il s'agisse de gagner un sentiment d'appartenance en se conformant aux exigences du miroir social (Mead, 1934), soit qu'il faille atteindre un objectif particulier pour s'autoriser à bomber le torse (Coopersmith, 1967), soit enfin qu'il convienne de respecter des « piliers » moraux afin que la réalité récompense votre vertu (Branden, 1994). Bref, si l'on veut avoir le privilège de jouir d'une bonne estime de soi, il faut payer, d'une manière ou d'une autre.

Quel est le problème avec l'estime de soi ?

Il se situe à deux niveaux :

À un niveau logique, tout d'abord, parce que l'estime de soi suppose l'évaluation du 'soi', considéré comme une entité stable et définie une fois pour toutes alors qu'à l'évidence il s'agit d'un processus, impermanent par essence. Ainsi, si j'échoue à un examen, je peux penser que je ne suis pas doué pour les études, alors que rien, empiriquement, ne permet d'aboutir à une telle conclusion.

Et ce saut logique, erroné, va avoir un retentissement certain sur mes performances futures : puisque je ne suis pas doué pour les études, je ne vais certainement pas réussir cet autre examen non plus, résultat qui viendra confirmer ma croyance de départ, par le jeu pervers des prophéties auto-réalisatrices (Watzlawick, 1988).

À un niveau psychologique, ensuite, la médaille de l'estime de soi a son revers : si elle augmente lorsque je le « mérite » (en ayant réussi à obtenir l'approbation sociale, à réaliser un projet gratifiant ou à tenir mes engagements), alors elle diminuera lorsque j'ai « fauté » (suite à un rejet social, une mauvaise performance ou une attitude contraire à mon éthique).

On voit très vite que l'individu moyen sera sujet toute sa vie à des hauts et des bas incessants dans son « estime de soi », oscillant entre des états de béatitude où il se prend pour un dieu et des moments tragiques, où il se considère comme un ver de terre. Y a-t-il une issue ?

Oui. À contre-courant de la pensée dominante en psychologie, il existe une alternative à cette « montagne russe » émotionnelle que constitue l'estime de soi : l'arrêt pur et simple de toute évaluation de "soi", au profit d'une évaluation de ses comportements et de sa satisfaction personnelle (Mills, 2000). Est-ce aussi facile que cela ? Non, ce n'est pas facile, mais c'est en revanche très simple.

Albert Ellis, le fondateur de la thérapie « émotivo-cognitivo-comportementale » (Rational-Emotive-Behavior Therapy) a toujours combattu l'idéologie de l'estime de soi, enseignant à ses clients (au sens rogérien du terme) la philosophie de l'acceptation inconditionnelle de soi (Unconditional Self-Acceptance) à l'opposé de toute mesure de la valeur d'un individu.

Ellis appelle de manière humoristique la tendance pour le moins « névrotique » des êtres humains à s'auto-évaluer le « complexe de Jéhovah ». Tout commence lorsqu'un individu réalise une bonne performance dans une situation donnée ; c'est à la suite de ce premier constat que le « complexe de Jéhovah » pointe le bout de son nez et conduit ledit individu à une conclusion fallacieuse : puisqu'il a obtenu un bon résultat, lui, en tant qu'être humain, prend de la valeur.

Malheureusement pour cet individu, il suffira d'une contre-performance dans le futur pour que le « complexe de Jéhovah » se transforme rapidement en « complexe de ver de terre », autre extrémité, dramatique celle-là, du même continuum axiomatique.

Ellis montre que philosophiquement parlant, la notion de valeur d'un être humain ne tient pas trente secondes : en effet, que serait, dans cette perspective, un « bon » être humain et en quoi se distinguerait-il d'un « mauvais » ?

Sur quels critères établir la valeur d'un individu ? De telles interrogations parlent d'elles-mêmes et plaident en faveur d'un abandon pur et simple de la question de la valeur d'un être humain. Les êtres humains sont, un point c'est tout. Et la seule chose susceptible d'être évaluée les concernant, ce sont leurs comportements.

Il est sans doute utile de mettre en garde contre une confusion très courante en psychologie : la personne n'est pas le comportement. Ce n'est pas parce qu'un individu agit stupidement qu'il est stupide. On retrouve ici toute la pertinence des principes issus de la Sémantique générale, à laquelle Ellis reconnaît d'ailleurs une parenté directe avec ses propres idées.

Estime de soi. (2006, février 9). Wikipédia, l'encyclopédie libre. Page consultée le 20:41, mai 15, 2006 à partir de http://fr.wikipedia.org/w/index.php?title=Estime_de_soi&oldid=5496662.

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