Richard Bach, l’écrivain du ciel
Richard Bach, l’écrivain du ciel – 1
Par Marilou Brousseau
Article paru dans le magazine l’Agenda – janvier-février 2004
Qui n’a pas connu, un jour, ce petit frémissement intérieur à l’idée de croiser sur son chemin la personne ayant fait chaviré son cœur par ses mots et sa philosophie ?
Depuis trente ans, je rêvais de rencontrer Richard Bach, l’auteur de Jonathan Livingston le Goéland, Illusions, Un, Fuir sa sécurité, et j’en passe. Je savais qu’un de ces bons matins, au hasard du destin, nos âmes feraient plus ample connaissance. De quelle manière ? Aucune idée. Je poursuivais ma route avec la certitude bien ancrée en moi qu’un rêve se réalise toujours…
Le jour tant anticipé se présenta sous la forme d’une entrevue à réaliser pour le compte de mon éditeur. Le voyage s’avéra long. Très long. Allais-je me plaindre alors qu’au terme de celui-ci, l’écrivain Richard Bach se trouverait devant moi, cet ermite qui refuse systématiquement tout entretien comme on décline une invitation mortellement ennuyeuse ? Conjoncture favorable ? Toutes ces années d’attente optimiste s’avérèrent, en fait, le prélude d’une rencontre sacrée.
De Montréal à Seattle, en passant par des douanes américaines un peu trop suspicieuses, le temps s’étire en interrogations de toutes sortes : Richard Bach sera-t-il aussi extraordinaire que ses livres le laissent supposer ? Concocte-t-il un nouveau bouquin pour nous faire voyager de nouveau dans les mondes parallèles ? A-t-il enfin découvert pourquoi nous perdons la mémoire en arrivant en ce bas monde, et pourquoi devons-nous passer notre vie à tenter de nous rappeler qui nous sommes réellement ?
À Seattle, un hydravion me transporte sur l’île où Richard Bach vit reclus depuis de nombreuses années avec sa femme, ses deux chiens colleys et ses neuf furets. Le panorama est grandiose, paradisiaque même, comme si toute la beauté du monde s’était réfugiée dans ce coin de pays perdu au beau milieu du Pacifique. Aucun prédateur n’habite ces lieux (pour la plus grande joie des campeurs), seulement des lièvres, des daims et des ratons laveurs. Les aigles font partie du décor enchanteur et tournoient en vol plané au-dessus de nos têtes. S’il vous plaît, quelqu’un, arrêtez le temps !
Peut-on vraiment décrire cet instant où le rêve fusionne soudain avec la réalité ? Il est là, devant moi, me regardant de ses yeux bleus perçants. L’aviateur est grand, six pieds et deux (1,88m). Son sourire chaleureux me rassure. Il ne s’agit pas d’un ours grognon invectivant le premier débarqué sur son île. Pourtant, il déclare sur un ton sérieux: « Je suis un être solitaire et tu ne sais pas ce que je fais aux gens qui ne respectent pas ma réclusion et s’amènent chez moi sans mon consentement. » Je le crois même si seule la douceur émane de cet être à la voix si paisible que ma gêne et ma nervosité s’estompent d’un seul coup.
Premier arrêt : son hangar abritant ses deux avions, indice de sa passion toujours aussi vivante pour tout ce qui « touche » le ciel. Son être entier s’anime lorsqu’il parle de ses vieux biplans, dont il prend soin avec une grande attention, comme à la prunelle de ses yeux. La piste en réparation contrecarre son plan de m’emmener dans son zinc « au pays des oiseaux ». Ce n’est que partie remise, me dit-il…
En passant par des routes sinueuses, Richard Bach me conduit à sa maison toute humble, juchée sur le haut de la montagne. J’y rencontre ses amis, les animaux, et Sabryna, une femme aussi solitaire que lui. Après une brève conversation, nous la quittons pour effectuer une longue marche dans la forêt. Au bout d’un moment, dans cette atmosphère propice à l’échange, je lui demande :
– Vous avez écrit de nombreux livres qui ont connu un succès éclatant. La réponse des gens à votre égard a-t-elle toujours été unanime ?
– Absolument pas. Après la sortie de Jonathan Livingston le Goéland, j’ai reçu à plusieurs reprises, mon livre découpé en petits morceaux avec des notes disant que j’étais l’Antéchrist, un suppôt de Satan. Heureusement, je suis un être en cheminement et je sais que ces gens tentaient d’extérioriser leurs propres peurs en jetant leurs pierres dans mon jardin. Alors, je passe mon chemin, et eux poursuivent leur route dans une autre direction.
– Après toutes vos années de recherche, avez-vous trouvé pourquoi nous avons perdu la mémoire de nos origines ?
– Je crois qu’il est essentiel d’oublier notre être profond afin de jouir de l’illusion du temps et de l’espace, de la même manière qu’il est essentiel pour nous d’oublier tout ce qui entoure l’écran lorsque nous allons au cinéma. Nous regardons un film pour nous divertir et le spectacle n’est plus un plaisir si notre esprit est distrait du film et que le monstre du grenier ne nous effraie plus. Même si les réponses semblent invisibles, cela ne veut pas dire qu’elles ne nous entourent pas à tout instant. Et juste parce qu’une illusion semble exister, cela ne signifie pas qu’elle est vraie. Peu importe la réponse que nous cherchons, nous la connaissons déjà. La principale raison pourquoi nous n’obtenons pas de réponses c’est que nous n’avons pas posé de questions.
– Certaines personnes vous diront que renoncer à sa sécurité pour permettre à nos rêves les plus fous de se concrétiser, représente un risque trop élevé et peut même constituer une perte monumentale au plan matériel. Est-ce que nos plus grandes réalisations doivent absolument se vivre dans une pauvreté matérielle et exclusivement par la richesse de l’esprit ?
– Il y a des personnes qui se sentent inconfortables avec l’apparence de richesse et préfèrent plutôt celle de la pauvreté. Les deux demeurent des apparences, comme tout ce qui peut être vu avec les yeux. Lorsque nous fuyons notre sécurité, nous avons confiance qu’il existe un principe plus grand pour nous guider que celui du bon sens commun, et l’argent n’a rien à voir avec la confiance. Que serait notre vie aujourd’hui si nous n’avions jamais suivi notre rêve ou notre plus grand sens de la vérité ?
– Est-ce que certains personnages de vos livres tel le pilote Donald Shimoda, qui vous accompagne tout au long du livre Illusions, sont des êtres évoluant dans notre monde ?
– Oui, bien sûr. Toutefois, ils ne sont pas dotés de molécules. Il importe peu que ces êtres soient désincarnés ou non, l’essentiel réside dans la qualité de leur savoir et les enseignements qu’ils proposent. La plupart des gens ne croient pas en des dimensions différentes de la nôtre. Ils se coupent ainsi de sources extraordinaires de rencontres et d’apprentissages. Donald Shimoda, dans le livre Illusions, représente le sauveur du monde. En réalité, il est celui qui réside en chacun de nous. Lorsque nous ne savons plus où le personnage commence et où nous finissons, nous avons intégré alors une grande leçon de vie, celle de l’unité. Les rencontres avec nos personnages intérieurs, moléculaires ou non, sont uniques et exigent de nous un regard neuf sur les vies parallèles.
– Quel est votre plus grand rêve pour l’humanité ?
– Je ne peux pas rêver au-delà de ce qui est vrai. Toute l’humanité, chacun d’entre nous, a la liberté absolue de vivre selon sa propre croyance, et nous faisons exactement cela en ce moment. Il n’en tient qu’à nous de changer notre réalité si elle ne nous plaît pas. Nous vivons littéralement dans un monde de métaphores. Si nous désirons évoluer dans un espace-temps différent, nous n’avons qu’à nous en immerger et nous en ferons immédiatement l’expérience. Car, toutes nos vies se déroulent simultanément et non pas de manière consécutive comme le veut si bien la croyance populaire.
– Tous vos lecteurs attendent avec une grande impatience la sortie d’un nouveau livre. Quand aurons-nous l’occasion de le lire ?
– En fait, ce livre vient tout juste de sortir en librairie. Il s’intitule : Fuir sa Sécurité. Dès le départ, il y a une mise en garde, car les principes exposés dans cet ouvrage ne peuvent être explorés sans que le lecteur n’endosse l’entière responsabilité de ses gestes à la suite de cette lecture. Ce bouquin est une grisante aventure où toutes mes questions intemporelles doivent trouver des réponses afin que moi et mon enfant intérieur, Dickie, puissions retrouver notre plénitude. Une des plus grandes questions abordées est celle-ci: « Pourquoi faut-il absolument renoncer à la sécurité pour que nos rêves les plus fous puissent prendre leur envol ? »
– Êtes-vous un homme heureux ?
– Pourquoi en serait-il autrement ? On récolte toujours ce que l’on sème. Alors, il importe de bien choisir les graines que l’on veut planter dans son jardin, car, tôt ou tard, le fruit de ces graines se retrouvera dans notre assiette. Nous vivons avec les conséquences de nos choix.
Notre marche s’est poursuivie jusqu’au bord du lac où un radeau nous attendait pour une belle… croisière. Comment ne pas sourire à la pensée que OUI, les rêves apparemment impossibles peuvent se matérialiser, là, devant nous, parce qu’un jour on y a cru. J’ai fui ma peur, ma sécurité et ma timidité pour rejoindre celui qui, un jour, m’a permis de mieux comprendre la vie par ses paroles venant d’un pays sacré, dans les montagnes mystiques, à l’est de Fort Wayne…
Je ne peux terminer cet article sans une phrase précieuse de Richard Bach : « Dans toute profession repose une métaphore très claire et se trouve la voie bien pavée nous permettant de découvrir la raison pour laquelle nous avons choisi de jouer sur terre. »
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