C’est drôle l’amour ! Conte à l’intention de celles et ceux qui doutent.
"Tout est mystère dans l'Amour."
Jean de La Fontaine
Me voilà à peine sorti du bureau que je me retrouve assis au côté d’une dame usée par les soucis existentiels et la biture continuelle. J’aurais pu poursuivre mon trottoir et rentrer chez moi me délasser. J’aurais pu, mais je ne l’ai pas fait et j’en suis sacrément fier. La dame est méchamment imbibée de mélancolique. Je la sers fort dans mes bras pour partager son spleen. Eh oui ! Il ne faut jamais contrarier une putasse de désespérance quelle qu’elle soit. Au risque qu’elle ne vous revienne brutalement dans la gueule une nuit où pour une fois vous avez trouvé un petit morceau de sommeil. Ouais, la violente souffrance se dorlote ! Nous voilà tous les deux à chasser les papillons noirs. Quelle équipe ! Je la regarde, elle me voit. Je lui parle, elle m’entend. Je la cajole, elle me ressent. J’aspire une grande bouffé de vigueur, elle flaire l’occasion. Je déguste, elle mange les restes. Nous sommes à l’unisson. On philosophe. Elle m’évoque son cancer de la gorge et moi mon cancer des relations conjugales. C’est fou comme les cancers se ressemblent et s’assemblent. Elle va mieux, je vais mieux. On se boit un restant de bière tiède. Santé ! Je l’emmaillote fort dans mes bras frêles et l’embrasse religieusement. L’amitié est une étreinte généreuse. Nous nous quittons splendidement. L’amour fait des miracles.
Encore neuf cents mètres et je retrouve mon chez-moi reprisé. On se marre dans mon dos. Je me retourne d’indiscrétion. Un monsieur d’un certain âge rit de son innocence perdue. Je m’approche de lui et me mets à rire de mon innocence retrouvée. La joie se partage comme un gâteau d’anniversaire. Putain que ça fait du bien de se marrer des entrailles. Il me dévisage, j’entends battre son cœur. Il me touche le bras, je ressens une chaleur traverser mes vêtements. Il respire la santé, j’avale ma rancœur. C’est prodigieux d’être sur la même longueur d’onde. Il aborde son âge tendre et me fait part de son hostilité envers ses oppressifs éducateurs. Je suggère, à mots bas, le viol monstrueux de mon enfance. Une bonne rigolade n’est pas toujours si poilante. Différents et pourtant si ressemblants. L’Enfance est un poids mort que nous trimballons toute notre vie. Nous nous enlaçons charitablement histoire de nous distribuer l’affection et la tendresse que nous n’avons pas eues. Le temps passe et les corps s’immortalisent. On ne comble pas un manque affectif en quelques minutes. Putain que c’est réconfortant. Une fine pluie vient gâcher notre idylle. Nos corps se séparent dans un fou rire plein d’amour. Nous nous regardons béatement.
La dame alcoolique, brusquement déshéritée par sa bibine, est comme attirée par cette atmosphère mystique. Elle s’immisce dans le couple. Je laisse faire la nature. Et advient ce qu’il doit advenir. Bras dessus, bras dessous la dame et le monsieur s’en vont finir l’amourette violente loin de mon regard désireux. Le désarroi est parfois plein d’opportunités. Je les regarde jalousement s’éloigner avant de réaliser que je suis seul. Je m’enfonce dans mon imaginaire pour mieux supporter la séparation. Point de quiétude en ces lieux inhospitaliers. Je m’éveille. Le ciel est bleu et les quelques tourtereaux qui m’entourent réveillent un désir éteint. Je quitte mes starting-blocks au pas de course. J’ai une femme malheureuse qui attend mon retour interminable. J’ai envie de communiquer, de mettre en commun mon amour de la vie. J’ai enfin compris que l’amour survit dans la contradiction. Laid et beau, grosse et maigre, pessimiste et optimiste, faible et forte, pauvre et riche, obscurité et clarté… l’existence n’est que paradoxe. Pas d’amour qu’avec des « je t’aime »… il faut aussi des « je t’haine ». Me voilà enfin à la porte d’un nouvel envol. Mon alter ego pointe le bout de sa frimousse. Je la trouve resplendissante. Elle me trouve rayonnant. Ce matin j’envisageais le divorce, ce soir je projette le mariage.
C’est drôle l’amour !